Collection: Olivier Joly

Journaliste et photographe sportif, Olivier Joly a longtemps sillonné les routes plutôt encombrées du Tour de France et les stades de foot avant de goûter aux immensités désertes d'Islande. 

C'est d'ailleurs le foot qui l'a conduit pour la première fois à Reykjavík en 1998, pour un match qui s'est soldé par un nul 1-1 contre la France bientôt championne du monde, sorte de préfiguration de l'exploit qu'allait réaliser l'équipe islandaise en se qualifiant jusqu'aux 8e de finale 10 ans plus tard. 

Depuis, Olivier Joly ne cesse d'arpenter l'île et notamment ses "hautes terres", la partie centrale la plus reculée et aride. 

Il a accordé une interview à Ísland.

Vous avez publié en 2017 un premier ouvrage, Quatre saisons en Islande, qui rendait compte de la beauté et de la diversité des paysages de l'île, et notamment de leur palette de couleurs. Pourquoi avoir basculé depuis en noir et blanc ?

Comme beaucoup de voyageurs découvrant l’Islande, j’ai d’abord été saisi par la beauté des paysages, l’incroyable diversité des couleurs, les ambiances changeantes... parfois d’une minute à l’autre. C’est l’étrangeté de cet univers à la fois subpolaire et volcanique que j’ai cherché à saisir en couleurs -et en toutes saisons. Mais dans le même temps, je photographiais déjà en noir et blanc, comme un jardin secret. Le noir et blanc est plus intimiste, il suggère plus qu’il ne montre, donne la main à nos états d’âme. C’est ainsi que j’ai pu retranscrire mes sensations brutes. Après la parution de Quatre saisons en Islande, j’ai emprunté pleinement ce chemin du noir et blanc comme si je découvrais un nouveau pays. Dans mon viseur, je ne voyais plus l’Islande comme une destination, mais comme une émotion.

Depuis 2008, l'île a suscité un sur-tourisme qui sature certains sites naturels mais également l'imaginaire des internautes d'une foule d'images toujours plus spectaculaires. Comment tenez-vous compte (ou pas) de cet effet de déjà-vu que cela induit pour nombre des sites islandais les plus populaires ?  

En 2017, j’ai vécu huit mois en Islande en famille. Les sites touristiques devenaient infréquentables pour ceux qui, comme moi, ne parviennent à ressentir pleinement ce pays que dans une forme d’éloignement, de solitude, de tête-à-tête avec les éléments. J’ai donc fui le Cercle d’Or, la Route des glaces, la plage de diamant… et tous ces noms marketing qui fleurissaient en même temps que les autocars de voyageurs. Je me suis tourné vers les contrées moins spectaculaires, les péninsules oubliées, les landes nues, les petits champs de lave. Je me suis rapproché des ruisseaux, j’ai pris le temps d’écouter les oiseaux, de sentir la texture des laves et de la mousse. Et puis j’ai approfondi ma connaissance des Hautes Terres, ces arpents sauvages où je retrouve la force nue des éléments, géographiques et climatiques.

Dans sa seconde partie, votre livre SAGAS propose des instantanés de la vie quotidienne des habitant.e.s, grand.e.s oublié.e.s de l'avalanche d'image que je mentionnais plus haut. Ces photos très touchantes saisissent des rituels ancrés : la baignade par tous les temps, les jeux d'enfants, un pasteur devant son église... Dans quelles circonstances ces photos ont-elles été prises ? Ce sont des endroits où vous avez passé du temps pour vous «faire oublier», des hasards ? 

Au fil de mes voyages, j’ai découvert que sur cette terre onirique vivent des Islandais, souvent oubliés c’est vrai, qui ont une personnalité aussi fascinante que leur île. Ils sont audacieux, créatifs, résilients, en héritiers des premiers colons qui ont choisi de vivre ici malgré les épreuves. Mon amitié avec des Islandais, mais aussi mes reportages, m’ont permis d’ouvrir des portes pour me rapprocher de ces communautés qui font perdurer des rituels ancestraux. C’est ainsi que j’ai croisé ces enfants qui ressemblaient à des elfes fumants en sortant d’un bain chaud, ces écoliers courant vers la plage à l’heure de la récréation, ce baigneur glacé à l’allure d’oiseau géant, ces fermiers qui vont à l’assaut des montagnes sous la neige... Avec une part de hasard, bien entendu, d’autant que j’aime shooter à l’instinct, à main levée.

En effet, vos photos montrent de nombreuses scènes du «réttir», comme les Islandais appellent le grand rassemblement des moutons en septembre… Vous pouvez nous en parler ?

Chaque automne, les éleveurs vont chercher dans les montagnes les brebis et les jeunes moutons qu’ils y ont laissés à l’estive. Pour cela, ils se rendent à cheval, à pied ou en véhicule tout-terrain dans les massifs, les vallées, les canyons, sur les crêtes et dans les recoins les plus reculés de l’île. C’est une caravane humaine et animale qui semble sortie d’un autre temps. Il s’agit d’un travail harassant, qui demande de l’entraide, du courage, une bonne organisation et une immense énergie. Certains hommes, mais aussi certaines femmes -car le réttir est très ouvert à l’image du pays- marchent plus de trente kilomètres dans la journée pour courir après trois bêtes, accompagnés de leurs chiens. Cette transhumance est supervisée par un homme appelé fjallkóngur, «le roi des montagnes», qui est le meilleur connaisseur de la région. J’ai suivi le réttir dans la région de Fjallabak pendant sept années, ce qui m’a permis de me faire connaître par tous ceux que j’ai photographiés. Ils entretiennent un lien plus que millénaire entre cette terre et ses habitants. C’est ce lien que j’ai voulu saisir.

Concernant les musiciens Ásgeir et Eric Howden, comment sont-ils apparus devant votre objectif? 

J’ai plusieurs fois interviewé Ásgeir, pour différents titres de presse, et dès son premier album, qui l’a révélé au monde. La dernière fois, c’était chez lui à Reykjavik, ce qui m’a permis de lui proposer une séance photo non loin de son appartement, dans un petit coin de nature, un cadre féérique de roches rouges et de bouleaux. Sa chanson Going Home demeure mon hymne de ce pays : je m’en imprègne dès que je repose les pieds sur l’île. Quant à Eric Howden, alias Raised by Swans, un songwriter canadien amoureux de l’Islande, je l’ai croisé alors que j’étais en reportage pour GEO dans les Fjords du Nord-Ouest. Il tenait la minuscule épicerie d’un hameau et partait marcher chaque jour de longues heures sur les falaises. C’est un artiste réservé, mais nous avons débuté une correspondance amicale qui n’a jamais cessé depuis. Ses chansons sont très inspirées de l’Islande. Son album Oxnadalur porte d’ailleurs le nom d’une vallée du Nord où il a vécu, plantant 10 000 arbres quand il n’était pas en train d’écrire et de composer.

Vous allez en Islande depuis 1998, on ne s'en lasse pas

Jamais. D’abord parce que rien ne se répète en réalité : le même lieu, selon les saisons, les heures de la journée, la course du soleil et des nuages, la pluie, peut être transfiguré. Je guide parfois des voyageurs amoureux de l’Islande dans les Hautes Terres et je ne cesse de redécouvrir avec eux cette mosaïque de volcans, de déserts, de lacs et de rivières. Par ailleurs, j’ai un tel amour de ce pays que je suis tenté d’emprunter la moindre piste, le sentier oublié qui conduit vers les endroits que je ne connais pas -et il y en a beaucoup. Il y a aussi mes amis là-haut, qui sont devenus ma famille islandaise et celle de mes filles. Et puis, dans ce pays, je me sens vivre plus fort que partout ailleurs. C’est rare et précieux. Lorsque je ne suis pas en Islande, il n’est pas un jour sans que je jette un regard à la carte qui est au mur, en pensant à mon prochain voyage.

Entretien réalisé le 20 décembre 2023

Olivier Joly dans les médias ... 

  • A écouter 

Le temps d'un bivouac, France Inter, diffusion du 12 août 2022

  • A regarder 

Passe moi les jumelles : "Islande, lumières des Hautes Terres ", un reportage de Jean-Marc Chevillard avec Olivier Joly, une émission de la Radio Télévision Suisse, 24 mars 2023, 

Planète LizaOlivier Joly, photographe et grand reporter, France bleu, diffusion du 26 juin 2022, 39 min,